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Le temps du Carême
Extrait du Directoire sur la
piété populaire et la liturgie
(Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements)
décembre 2001
Le Temps du Carême
124. Le Carême est le temps liturgique qui précède Pâques et prépare les fidèles à célébrer cette solennité. C’est un temps d’écoute attentive de la Parole de Dieu et de conversion, de préparation ou de rappel du baptême, de réconciliation avec Dieu et avec les frères, et une occasion de recourir plus fréquemment aux "diverses armes de la pénitence chrétienne": la prière, le jeûne et l’aumône (cf. Mt 6, 1-6. 16-18).
Faute d’avoir pu percevoir facilement les grands mystères de la foi exprimés par le Carême, les expressions de la piété populaire répercutent peu les valeurs et les thèmes principaux de ce temps liturgique: il convient de citer, en particulier, le rapport entre le "signe des quarante jours" et les sacrements de l’initiation chrétienne, ainsi que le mystère de "l’exode" qui est présent tout au long de l’itinéraire du Carême. En revanche, la tendance constante de la piété populaire à évoquer les mystères de l’humanité du Christ, a incité les fidèles à concentrer leur attention sur la Passion et la Mort du Seigneur.
125. Dans le Rite romain, le début des quarante jours de pénitence est marqué par le signe austère des cendres, qui caractérise la Liturgie du Mercredi des Cendres. Ce signe a pour origine le rite antique au cours duquel les pécheurs convertis se soumettaient à la pénitence canonique; de fait, le geste qui consiste à se couvrir de cendres signifie la reconnaissance de la fragilité et de la condition mortelle de l’homme, qui ressent le besoin de se tourner vers la miséricorde de Dieu pour obtenir de lui le salut. Ainsi, loin de le réduire à un geste purement extérieur, l’Église a voulu le conserver pour exprimer cette attitude de pénitence, à laquelle chaque baptisé est appelé durant l’itinéraire du Carême. Il est donc nécessaire d’aider les nombreux fidèles, qui viennent recevoir les cendres, à comprendre le sens profond de ce geste, destiné à ouvrir leurs cœurs à la conversion et au renouveau pascal.
En dépit de la sécularisation de la société contemporaine, il faut expliquer clairement au peuple chrétien que le Carême est un temps privilégié, qui vise à orienter les âmes des fidèles vers les seules réalités qui comptent vraiment. Cette attitude comporte l’engagement à suivre l’Évangile et à lui conformer sa propre vie, ce qui se traduit par l’accomplissement de bonnes œuvres, qui prennent la double forme d’un renoncement à tout ce qui est superflu et luxueux, et de gestes de solidarité envers les pauvres et tous ceux qui souffrent.
Les fidèles qui ne s’approchent que rarement des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie savent bien que le temps du Carême et de Pâques est lié au commandement de l’Église, issu d’une longue tradition, qui leur impose de confesser au moins une fois par an leurs propres péchés mortels et de recevoir la Sainte Communion, de préférence durant le temps pascal.
126. Les approches différentes de la Liturgie et de la piété populaire concernant le Carême ne doivent pas constituer un obstacle pour considérer le temps des "Quarante jours" comme un moment propice permettant d’établir des relations étroites et fécondes entre ces deux aspects du culte chrétien.
À titre d’exemple destiné à illustrer cette interaction, la piété populaire privilégie des jours et des pieux exercices bien précis, ainsi que des activités apostoliques et caritatives déterminées, que la Liturgie de Carême elle-même prévoit et recommande. La pratique du jeûne, qui caractérise ce temps liturgique depuis les premiers siècles de l’Église, est un "exercice" qui libère volontairement des désirs liés à la vie sur cette terre; il permet donc de redécouvrir la nécessité d’aspirer à la vie qui vient du ciel: "ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu" (cf. Dt 8, 3; Mt 4, 4; Lc 4, 4; antienne de la communion du premier Dimanche de Carême).
La vénération de Jésus crucifié
127. La fin de l’itinéraire du Carême coïncide avec le commencement du Triduum pascal, c’est-à-dire exactement à partir de la célébration de la Messe in Cena Domini. Durant le Triduum pascal, le Vendredi Saint, dédié à la célébration de la Passion du Seigneur, est le jour par excellence de "l’Adoration de la sainte Croix".
Toutefois, la piété populaire aime anticiper la vénération cultuelle de la Croix. De fait, durant tout le temps du Carême, la piété des fidèles s’oriente volontiers vers le mystère de la croix chaque vendredi qui, selon une très antique tradition chrétienne, est le jour consacré à la célébration de la mémoire de la Passion du Christ.
Les fidèles, en contemplant le Sauveur crucifié, saisissent plus facilement la signification de la souffrance illimitée et injuste que Jésus, le Saint et l’Innocent, a subi pour le salut de l’homme, et ils mesurent aussi beaucoup mieux la valeur unique et incomparable de l’amour du Christ qui a manifesté sa proximité à l’égard de chaque homme, ainsi que l’efficacité de son sacrifice rédempteur.
128. Les expressions de dévotion envers le Christ crucifié, qui sont nombreuses et variées, ont une importance particulière dans les églises dédiées au mystère de la Croix, ou dans lesquelles sont vénérées des reliques, considérées comme authentiques, du lignum Crucis. Il est vrai que la "découverte de la sainte Croix", qui remonte selon la tradition à la première moitié du IV siècle, et qui fut suivie de la diffusion de parcelles très vénérées de cette même Croix dans le monde entier, suscita un développement notable du culte de la Croix.
Les manifestations de dévotion, adressées au Christ crucifié, comprennent les éléments habituels de la piété populaire, c’est-à-dire des chants et des prières, ainsi que des gestes comme, par exemple, l’ostension de la croix, sa vénération par un baiser, et aussi la procession et la bénédiction avec la croix. Tous ces éléments s’insérent de manières diverses dans le culte adressé au Christ crucifié, donnant lieu à un certain nombre de pieux exercices, estimables à la fois pour la valeur de leur contenu et de leur forme.
Il reste que la piété envers la Croix a toujours besoin d’être éclairée. Il faut donc montrer aux fidèles que la Croix se réfère avant tout à l’évènement de la Résurrection: la Croix et le tombeau vide, la Mort et la Résurrection du Christ sont inséparables dans le récit évangélique et dans le plan de salut de Dieu. La foi chrétienne proclame que la Croix est l’expression tangible du triomphe du Christ sur le pouvoir des ténèbres; c’est pourquoi elle est souvent représentée couverte de pierres précieuses, et elle est devenue un signe de bénédiction quand elle est tracée sur soi-même ou sur d’autres personnes, et sur des objets.
129. Les fidèles ont volontiers mis en évidence certains aspects de la Passion du Christ, qui sont devenus autant de dévotions particulières. Cette attitude s’explique par la tendance, qui est propre à la piété populaire, de spécifier et de différencier les divers éléments du texte évangélique, qui, en l’occurrence, présente lui-même les différents épisodes du récit de la Passion d’une manière détaillée. Parmi ces dévotions liées à la Passion du Christ, on peut citer: celle qui s’adresse à l’ "Ecce Homo", au Christ méprisé et torturé, "portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre" (Jn 19, 5), que Pilate présente au peuple; la dévotion aux saintes plaies du Seigneur, en particulier celle qui s’adresse à la blessure de son Cœur transpercé, et au sang jailli de ce Cœur et qui donne la vie; l’évocation des instruments de la Passion, parmi lesquels la colonne de la flagellation, l’escalier du prétoire, la couronne d’épines, les clous, la lance qui transperça le côté du Christ, de même que le saint suaire et le linceul de l’ensevelissement.
Ces diverses expressions de la piété populaire, qui ont été promues dans certains cas par des personnes réputées pour leur sainteté, sont légitimes. Toutefois, afin d’éviter un morcellement excessif dans la contemplation de l’unique mystère de la Croix, il convient de souligner le caractère complexe de l’événement de la Passion en se basant sur la tradition biblique et patristique.
La lecture de la Passion du Seigneur
130. L’Église exhorte les fidèles à la lecture fréquente, individuelle et communautaire, de la Parole de Dieu. Il ne fait aucun doute que, dans l’ensemble de la Bible, les passages, qui narrent la Passion du Seigneur, ont une valeur pastorale particulière, puisque, par exemple, l’Ordo unctionis infirmorum eorumque pastoralis curae suggère de lire, au moment de l’agonie du chrétien, le récit tout entier, ou du moins quelques extraits, de cette Passion.
Durant le temps du Carême, les communautés chrétiennes marqueront leur attachement au Christ crucifié en témoignant leur prédilection pour la lecture de la Passion du Seigneur, surtout le mercredi et le vendredi.
Une telle lecture, d’une grande portée doctrinale, attire l’attention des fidèles sur le contenu même du récit ou sur sa disposition générale, et elle suscite en eux des sentiments de piété authentique, parmi lesquels il convient de citer: le regret des fautes commises, qui provient de leur perception que le Christ est mort pour la rémission des péchés de tout le genre humain, et donc aussi de leurs propres péchés; la compassion et la solidarité envers l’Innocent injustement persécuté; le sentiment de gratitude envers Jésus pour l’amour infini dont, durant sa Passion, ce Frère aîné a fait preuve envers tous les hommes; l’engagement à suivre les exemples de douceur, de patience, de miséricorde, de pardon des offenses et d’abandon confiant entre les mains du Père, donnés par Jésus d’une manière à la fois abondante et efficace durant sa Passion.
Lorsqu’elle est lue en dehors de la célébration liturgique proprement dite, la Passion pourra être opportunément "dramatisée" en faisant appel à divers lecteurs correspondant aux différents personnages, et en intercalant entre les différentes parties du récit des chants et des moments de méditation silencieuse.
La "Via Crucis"
131. Parmi les pieux exercices destinés à vénérer la Passion du Seigneur, peu sont aussi estimés par les fidèles que la Via Crucis. Ce pieux exercice leur permet de revivre avec une attention particulière cette ultime étape du chemin parcouru par Jésus durant sa vie terrestre: depuis le Mont des Oliviers, où dans "le domaine appelé Gethsémani" (mc 14, 32), le Seigneur "fut saisi par l’angoisse" (Lc 22, 44), jusqu’au Mont du Calvaire où il fut crucifié entre deux bandits (cf. Lc 23, 33), et au jardin où il fut déposé dans un sépulcre neuf, creusé dans le roc (cf. Jn 19, 40-42).
Le témoignage de l’attachement des fidèles chrétiens envers ce pieux exercice est perceptible dans les innombrables Via Crucis qui sont érigées aussi bien dans les églises, les sanctuaires et les cloîtres, qu’à l’extérieur, dans la campagne ou sur les pentes des collines, qui sont autant de lieux auxquels les diverses stations confèrent une physionomie particulière.
132. La Via Crucis peut être considérée comme la synthèse d’un certain nombre de dévotions qui remontent au Moyen Âge: le pèlerinage en Terre Sainte, durant lequel les fidèles se rendent sur les lieux même de la Passion du Seigneur; l’évocation des "chutes du Christ" sous le poids de la Croix et celle du "chemin de croix douloureux du Christ", qui est marqué par une procession accomplie d’église en église en mémoire des étapes parcourues par le Christ durant sa Passion; la dévotion aux "stations du Christ", qui se réfèrent aux différents endroits où le Christ fut contraint de s’arrêter au long du chemin qui le conduisait au Calvaire, soit à cause de l’attitude de ses bourreaux, soit du fait de l’épuisement de ses forces physiques, ou encore, parce qu’il manifestait son amour envers les hommes et les femmes, qui assistaient à sa Passion, en s’efforçant d’établir un dialogue avec eux.
Dans sa forme actuelle, déjà attestée dans la première moitié du XVII siècle, la Via Crucis est constituée de quatorze stations; cette dévotion, qui fut surtout diffusée par saint Leonardo da Porto Maurizio († 1751), est approuvée par le Saint-Siège et enrichie d’indulgences.
133. La Via Crucis est un chemin tracé par l’Esprit Saint, ce feu divin qui brûlait dans le Cœur du Christ (cf. Lc 12, 49-50) et le poussait à marcher vers le Calvaire; elle est aussi un chemin vénéré par l’Église, qui a conservé le souvenir très vif des paroles et des événements qui ont marqué les derniers jours de son Époux et Seigneur.
De plus, des expressions très variées, qui caractérisent la spiritualité chrétienne, sont présentes dans le pieux exercice de la Via Crucis: ainsi, la conception de la vie en tant que chemin ou pèlerinage à accomplir, ou comme un passage, à travers le mystère de la Croix, de l’exil de cette terre vers la patrie céleste; le désir de s’unir profondément à la Passion du Christ; les exigences de la sequela Christi, qui, pour le disciple, consiste à marcher derrière le Maître, en portant chaque jour sa propre croix (cf. Lc 9, 23).
Toutes ces raisons permettent d’afirmer que la Via Crucis est un exercice de piété particulièrement adapté durant le temps du Carême.
134. Les orientations suivantes sont destinées à accomplir le pieux exercice de la Via Crucis d’une manière frutueuse:
- La forme traditionnelle de la Via Crucis, avec ses quatorze stations, doit être considérée comme la forme ordinaire et typique de ce pieux exercice; toutefois, en certaines occasions, il peut être permis de remplacer l’une ou l’autre des "stations" par d’autres, qui évoquent certains épisodes du récit évangélique de ce chemin douloureux accompli par le Christ, et qui ne font pas partie de la forme traditionnelle.
- Il existe aussi d’autres formes de la Via Crucis, qui sont, soit approuvées par le Siège Apostolique, soit employées publiquement par le Pontife Romain: celles-ci peuvent être employées selon l’opportunité.
- La Via Crucis est un pieux exercice qui évoque la Passion du Christ; toutefois, il est opportun que sa conclusion permette aux fidèles d’ouvrir leur cœur à l’attente, pleine de foi et d’espérance, de la résurrection; c’est pourquoi, en prenant exemple sur la station à l’Anastasis à la fin de la Via Crucis à Jérusalem, il est possible de conclure le pieux exercice en évoquant la résurrection du Seigneur.
135. Les textes de la Via Crucis sont innombrables. Ils ont été composés par des pasteurs convaincus des fruits spirituels de ce pieux exercice, auquel ils ont manifesté un sincère attachement; ces textes ont aussi parfois pour auteurs de pieux fidèles laïcs, que leur sainteté, leur doctrine ou leurs dons d’écrivains ont rendu célèbres.
Le choix du texte de la Via Crucis, tout en prenant en considération les indications éventuelles des Évêques, devra être opéré en tenant compte à la fois de la condition de ceux qui participent à ce pieux exercice, et du principe pastoral consistant à associer d’une manière convenable la continuité et l’innovation. Il reste que, dans tous les cas, le choix devra toujours se porter de préférence sur les textes, qui contiennent des citations bibliques judicieusement choisies, et qui sont écrits dans un langage à la fois noble et simple.
Le fait d’accomplir la Via Crucis d’une manière sage et équilibrée en alternant les textes lus, le silence, les chants, la procession entre les stations et les arrêts permettant la méditation, permet à ce pieux exercice de porter tous ses fruits spirituels.
La "Via Matris"
136. L’union du Christ crucifié et de la Vierge des douleurs dans le projet de salut de Dieu (cf. Lc 2, 34-35) a pour effet de les associer dans la Liturgie et la piété populaire.
Tout comme le Christ est "l’homme des douleurs" (Is 53, 3), par lequel il a plu à Dieu "de tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix" (Col 1, 20), Marie est aussi la "femme douloureuse", que Dieu a voulu associer à son Fils comme une mère unie à sa Passion (socia passionis).
Dès l’enfance du Christ et jusqu’à sa mort, la vie de la Vierge Marie fut associée au rejet que subissait son Fils, et elle fut donc marquée tout entière par le signe de l’épée, annoncée par Siméon (cf. Lc 2, 35). La piété du peuple chrétien a donc distingué dans cette vie douloureuse de la Mère, sept épisodes principaux, auxquels elle a donné le nom des "sept douleurs" de la Vierge Marie.
Le pieux exercice de la Via Matris dolorosa, ou plus simplement de la Via matris, s’est formé sur le modèle de la Via Crucis, et il fut approuvé par le Saint-Siège. Des ébauches de la Via Matris existent depuis le XVI siècle, mais la forme actuelle de ce pieux exercice ne remonte pas au-delà du XIX siècle. L’intuition fondamentale de la Via Matrix est de présenter la vie entière de la Vierge, depuis l’annonce prophétique de Siméon (cf. Lc 2, 34-35) jusqu’à la mort et la sépulture de son Fils, comme un chemin de foi et de souffrances: il s’agit d’un chemin marqué par sept "stations", qui correspondent aux "sept douleurs" de la Mère du Seigneur.
137. Le pieux exercice de la Via Matris s’harmonise bien avec certains thèmes propres à l’itinéraire du Carême. De fait, étant donné que les souffrances de la Vierge Marie ont été causées par le rejet du Christ de la part des hommes, il est inévitable que la Via Matris fasse constamment référence au mystère du Christ en tant que serviteur souffrant du Seigneur (cf. Is 52, 13 - 53, 12), et rejeté par son peuple (cf. Jn 1, 11; Lc 2, 1-7; 2, 34-35; 4, 28-29; Mt 26, 47-56; Ac 12, 1-5). De plus, ce pieux exercice renvoie aussi au mystère de l’Église: les stations de la Via Matris constituent, en effet, les étapes de ce chemin de foi et de souffrances, sur lequel la Vierge Marie a précédé l’Église, et que cette dernière devra suivre jusqu’à la consommation des siècles.
La "Piétà", qui est un thème inépuisable de l’art chrétien depuis le Moyen Âge, peut être considérée comme l’expression majeure de la Via Matris.
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le mercredi 12 mars 2003+
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