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Enquête sur la messe traditionnelle

en trois volets :

I. Qui sont les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle ?

II. Pourquoi les fidèles sont-ils attachés à la liturgie traditionnelle ?

III. Que penser de l'appellation "liturgie traditionnelles"

 

I. Qui sont les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle ?

Il y a encore quelque temps, il était fréquent d'entendre dire au sein de certains milieux "catholiques" qu'il n'existait plus en France et en Europe de "problèmes liturgiques" et que tous les fidèles avaient accepté unanimement et avec joie les réformes mises en place dans les paroisses depuis la fin des années 60.

Aujourd'hui, il n'est plus possible d'exprimer une telle affirmation ; en effet, les témoignages abondent de l'existence au sein des Eglises d'Europe de mouvements importants et nombreux de fidèles attachés avec enthousiasme à la liturgie traditionnelle de l'Eglise latine... C'est pourquoi jaillit maintenant, de la bouche même de ceux-là qui hier encore niaient l'existence du "problème traditionaliste", une question nouvelle, à savoir qui sont ces êtres surprenants qui restent en 1997, à moins de 1 000 jours de l'an 2000, indéfectiblement attachés à la liturgie traditionnelle. Le plus simple, il est vrai, serait sans doute pour ceux qui ne savent répondre à cette question d'interroger les fidèles eux-mêmes ; cela permettrait de rétablir des contacts qui bien souvent, parce qu'ils n'existent plus, laissent la porte ouverte aux plus dures incompréhensions et par là à des analyses simplistes... Néanmoins, dans l'espérance de concourir au rétablissement des liens indispensables entre les fidèles appartenant aux différentes sensibilités de l'unique Eglise catholique, notre ami Philippe Thomas a souhaité interroger Monsieur Marc Bouhier, vice-président de l'association Oremus, pour connaître son point de vue à propos d'un groupe de fidèles qu'il connaît bien.

Marc Bouhier, pourriez-vous nous brosser rapidement le "portrait-robot" des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle ?

La formulation de votre question montre à quel point les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle sont méconnus, tant de leurs pasteurs que des médias. En effet, il est clairement impossible de brosser un "portrait-robot" des "catholiques traditionalistes" pour deux raisons : tout simplement parce que ces fidèles sont sans contexte aujourd'hui très nombreux, et que ce grand nombre nous oblige à admettre qu'ils ne forment pas un groupe monolithique, mais un ensemble extrêmement divers et varié.

N'existe-t-il pas néanmoins quelques dénominateurs communs qui puissent se retrouver chez l'ensemble de ces fidèles ?

Bien entendu, il en existe un, mais un seul : celui de leur attachement à la liturgie latine traditionnelle. Cependant, hormis cette conviction commune, ces fidèles, selon leur histoire propre, ou selon les circonstances de leur itinéraire spirituel propre, peuvent avoir vécu chacun un cheminement particulier, souvent tout à fait différent de celui de l'itinéraire des autres fidèles attachés à la liturgie traditionnelle.

Ne peut-on pas néanmoins distinguer quelques grandes classifications au sein de ces fidèles ?

Bien que classifier s'avère à l'évidence réducteur et simplificateur, je crois qu'il est possible, d'une manière qui cependant reste arbitraire pour des raisons que j'exposerai tout à l'heure, de distinguer parmi les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle trois groupes principaux : les résistants, les déçus des réformes liturgiques et les convertis à la messe traditionnelle.

Pourriez-vous nous préciser ce que vous appelez "le groupe des résistants" ?

Ils constituent le noyau le plus aisé à circonscrire. De ce fait, il est aussi le plus connu des autorités et des médias. Il s'agit bien évidemment des catholiques qui, dès la mise en oeuvre dans les années 60 des réformes liturgiques, se sont élevés contre celles-ci - constituant, en France et en Europe, d'authentiques noyaux de résistance à une réforme liturgique dont ils craignaient qu'elle ne soit l'occasion d'un appauvrissement doctrinal et spirituel.

Ce sont des fidèles appartenant à ce groupe qui constituèrent, partout en France, les premiers noyaux de contestation à une réforme liturgique trop souvent imposée "à la hussarde", d'une manière brutale, et parfois accompagnée d'outrances que tous reconnaissent aujourd'hui.

Qu'appelez-vous "le groupe des déçus" ?

Il réunit une part très importante de ceux qui constituent aujourd'hui les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle. Le plus souvent, ce sont des catholiques sincères et soumis qui ont accueilli avec joie les réformes post-conciliaires et qui ont même souvent participé à la mise en oeuvre de celles-ci.

Malheureusement, trop souvent, ils se sont aperçus que ce qui se réalisait dans leur paroisse n'avait que peu de rapport avec ce qu'avaient été jusqu'alors leur foi et ses expressions liturgiques. Alors, fréquemment, après quelques années passées dans leur paroisse, ils n'ont plus supporté les tensions qu'ils vivaient au quotidien et les dérives dont ils ne comprenaient pas "l'intérêt pastoral", et ils ont fini par cesser toute pratique religieuse régulière.

Cependant, cette situation ne correspondant pas à leurs convictions de catholiques fidèles, ils ont peu à peu, mais en grand nombre, rejoint les noyaux fidèles à la liturgie traditionnelle qui s'étaient constitués dans presque tous les diocèses de France. Il est clair qu'aujourd'hui, ils représentent, et de loin, le groupe le plus important de ceux qui sont attachés à la liturgie traditionnelle.

Peut-on dire que ce groupe des déçus réunit des fidèles ayant fait des choix théologiques ou sociaux particuliers ?

Votre question s'explique naturellement, parce que c'est ce qu'essaie de faire croire un certain nombre de journalistes, détracteurs de la liturgie traditionnelle, fervents disciples de Voltaire qui affirmait, rappelons-le : "Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose".

La force des médias est telle aujourd'hui que de trop nombreux pasteurs - qui ne connaissent ces fidèles qu'à travers des articles "assassins" du Monde voire de Golias - finissent par croire que ceux-ci ne formeraient qu'un conglomérat de réactionnaires nostalgiques, attachés à la liturgie classique essentiellement pour des raisons sociales ou politiques, alors qu'en réalité les plus nombreux ne sont en fait que des déçus, heureux de retrouver dans la liturgie traditionnelle une piété et une dévotion qui semblent avoir disparu à peu près partout aujourd'hui.

Vous avez évoqué précédemment "les convertis". Pourriez-vous préciser vos idées sur ce groupe de fidèles ?

Il s'agit ici de présenter l'aspect le plus méconnu du monde des fidèles attachés à la tradition.

Pour définir ce groupe, il nous faut rappeler que, depuis plus de trente ans, la désaffection des fidèles a été considérable : alors que dans les années 60, la pratique religieuse avoisinait les 50 %, elle est aujourd'hui inférieure à 4 %. Mais cette désaffection ne se réduit pas à un problème de pratique hebdomadaire. Il faut bien admettre que, dans de nombreux cas, les familles qui ont cessé de pratiquer se sont plus fondamentalement éloignées de la religion, ne faisant plus baptiser leurs enfants et ne leur transmettant plus aucune éducation religieuse. C'est pourquoi nous voyons aujourd'hui émerger de nouvelles générations qui n'ont plus rien de chrétien et qui sont devenues authentiquement païennes.

C'est parmi cette population que se développe d'une manière invisible un véritable apostolat qui conduit parfois à de véritables conversions, lesquelles aboutissent bien évidemment au baptême et à la fidélité aux formes liturgiques à l'origine de ces conversions.

C'est ainsi qu'au fil des années s'est agrégé un nombre croissant de familles et de jeunes qui font s'accroître les communautés fidèles à la liturgie traditionnelle d'une manière parfois considérable.

Pouvez-vous préciser la motivation de ces conversions ?

Ceci pourra peut-être surprendre quelques-uns, mais des contemporains "païens", habitués aux bruits et au caractère artificiel du monde moderne, ont souvent été aidés dans leur processus de conversion par la découverte d'une liturgie fondée sur le sacré et le silence : elle exprime excellemment pour eux la transcendance divine et leur condition de pauvres pécheurs agenouillés devant leur Sauveur.

Peut-on mesurer l'importance de ces conversions ?

C'est bien évidemment très difficile, mais l'observation de ce qui a été accompli depuis plus d'un quart de siècle, d'abord dans le cadre du M.J.C.F. et maintenant dans celui de Jeune Chrétienté, nous montre que ces conversions ont pu concerner des milliers de jeunes filles et de jeunes garçons. Certains diront peut-être qu'eu égard à l'importance de la population française ces chiffres restent assez faibles. Ce serait méconnaître les caractéristiques des "convertis" qui bien souvent se montrent plus zélés et plus enthousiastes que les vieux croyants. Ainsi peut-on affirmer qu'une part très importante des cadres religieux et laïcs des communautés fidèles à la liturgie traditionnelle provient de ces "convertis".

Comment, dans la pratique, ces différentes catégories de fidèles se distinguent-elles les unes des autres ?

Votre question me permet de revenir sur les réserves que j'exprimais au début de notre entretien. En effet, si l'on peut tenter de distinguer parmi les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle diverses origines, il est clair qu'au sein des communautés ces éléments disparaissent presque immédiatement. Aussi est-il absurde de vouloir réduire le groupe des fidèles aux seuls résistants ou aux seuls convertis, mais il nous faut accepter plutôt que l'ensemble de ces fidèles constitue aujourd'hui un groupe vivant et dynamique.

Peut-on tenter de fixer l'âge moyen de ces fidèles ?

Un ecclésiastique plein d'humour me disait, il y a quelques semaines, que les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle devaient tous être assez âgés puisque tous étaient censés être des nostalgiques d'avant 1969 qui avaient été incapables de s'adapter...

Les remarques que je viens de formuler démontrent que, parmi ceux qui sont aujourd'hui attachés à la liturgie traditionnelle de l'Eglise latine, de nombreux membres du groupe des déçus ou des convertis ne peuvent pas se définir en fonction de leur âge et sont même parfois de très jeunes adultes.

Plus encore, il faut rappeler que tous ces catholiques dont nous venons de parler sont pères et mères de famille, qu'ils ont souvent de nombreux enfants et que, de ce fait, ce sont aujourd'hui des centaines de milliers de jeunes adultes et d'enfants qui vivent chaque semaine au rythme de la liturgie traditionnelle. Ainsi nos communautés ont-elles l'espérance d'être encore vivantes et dynamiques dans l'avenir.

Justement, comment voyez-vous l'issue de ce qui peut apparaître pour quelques-uns comme une difficulté, à savoir la continuité de la liturgie traditionnelle ?

Tout d'abord, je ne pense pas que l'existence de la liturgie traditionnelle constitue en soi une difficulté : elle est au contraire, à mon avis, une richesse qui permet à l'Eglise d'offrir à ses fidèles une pluralité d'expressions liturgiques. Enfin, même pour ceux qui jugeraient cette pluralité néfaste, ils doivent savoir que, les questions liturgiques constituant un point fort de la sensibilité des fidèles, ce problème ne pourra se résoudre par la force, mais ne sera réglé que par le rétablissement de liens ecclésiaux forts ; eux seuls engendreront la compréhension mutuelle et permettront l'existence d'une véritable amitié chrétienne, qui se vivra en commun peut-être encore pendant plusieurs siècles.

 

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II. Pourquoi les fidèles sont-ils attachés à la liturgie traditionnelle ?

Lors de nos précédentes livraisons de la Lettre d'Oremus, nous avons cherché à comprendre quels étaient les fidèles qui étaient attachés à la célébration de la liturgie traditionnelle. Poursuivant notre enquête, nous souhaitons aujourd'hui aborder la question de savoir pourquoi certains catholiques restent fidèles à la liturgie traditionnelle ou se tournent de plus en plus nombreux vers celle-ci. Nous avons demandé à Marc Bouhier, vice-président d'Oremus, de répondre à nos questions.

Nous souhaitons aujourd'hui aborder une délicate question, à savoir pourquoi des catholiques sont attachés à la liturgie traditionnelle. Comment pouvez-vous nous aider à répondre à cette question ?

Il est vrai que la réponse à cette question est essentielle pour tous ceux qui cherchent à appréhender le phénomène "traditionnel" et qui ne comprennent pas que, loin de s'éteindre, celui-ci soit aujourd'hui de plus en plus dynamique. Bien évidemment, depuis longtemps, nous nous sommes penchés sur ce sujet et c'est pourquoi nous avons décidé, il y a plusieurs années, d'entreprendre dans le cadre d'Oremus une vaste enquête sur cette question.

Sur quelle base avez-vous mené votre enquête ?

Au travers de l'association Oremus, nous recevons chaque mois plusieurs dizaines de lettres de fidèles qui évoquent entre autres aspects les motifs de leur attachement à la liturgie traditionnelle. Après trois ans d'existence, cela représente un corpus de plusieurs milliers de témoignages émanant de fidèles de tout âge et de toutes les régions de France. Cet ensemble constitue, nous le croyons, un échantillon assez représentatif de l'opinion des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle. D'autre part, nous rencontrons régulièrement, lors de nos activités, des catholiques avec lesquels nous ne manquons pas d'aborder ce sujet. C'est ainsi que nous avons pu nous faire une idée assez précise des motivations qui animent les fidèles dans leur choix de vivre leur vie chrétienne dans le cadre de la liturgie traditionnelle.

Quelle valeur théologique accordez-vous à votre enquête ?

Nous n'avons pas voulu, en entreprenant ce travail, nous placer sous un angle théologique, pour la bonne raison que nous n'avons ni prétention, ni compétence dans ce domaine. C'est pourquoi nos observations constituent uniquement le reflet de l'attitude et des aspirations d'un très grand nombre de fidèles catholiques dans leur approche de la liturgie traditionnelle.

Quel est donc le motif de l'attachement des fidèles à la liturgie traditionnelle ?

Comme je l'évoquais il y a quelques instants, les fidèles que nous avons rencontrés ou dont nous avons reçu le témoignage sont très nombreux. D'autre part, un même fidèle peut avoir plusieurs motifs d'attachement à la liturgie traditionnelle. C'est pourquoi il n'est pas possible d'indiquer "une seule et unique" raison de l'attachement des fidèles à la liturgie traditionnelle ; nous ne pouvons que constater que c'est pour une large palette de motivations qu'ils ont fait ce choix liturgique. Cependant, malgré cette pluralité, il n'en reste pas moins vrai que certaines aspiratons apparaissent plus fréquemment et peuvent donc être considérées comme particulièrement essentielles pour les fidèles.

Quelles sont les aspirations dont vous avez constaté qu'elles étaient les plus fréquemment exprimées ?

Le critère qui apparaît le plus fréquemment est celui du silence, du besoin de retrouver une atmosphère sacrée ; c'est en effet ce recueillement pendant la célébration que recherchent et qu'apprécient le plus souvent les fidèles. L'importance de ce critère croît même d'une manière exponentielle chez ceux qui, jusqu'à leur décision de pratiquer leur foi au rythme de la liturgie traditionnelle, fréquentaient leur cadre paroissial. Bien souvent, c'est par refus de participer à des célébrations bruyantes et cacophoniques qu'ils ont choisi de s'attacher à la liturgie traditionnelle... Lassés qu'ils étaient d'avoir l'impression de subir en permanence, lors des offices, un bavardage incessant qui, en voulant peut-être expliquer les mystères, finit par prendre leur place.

Pourquoi cette importance du silence ?

Il est clair que le silence n'est pas une fin en soi. Pour les fidèles, participer au saint sacrifice en silence, c'est donner à cette célébration une dimension de recueillement et de prière. C'est pourquoi, à travers cette quête du silence, l'on perçoit leur désir de considérer leur présence à la messe comme un grand moment de leur vie chrétienne auquel ils souhaitent s'associer d'une manière plus intense et plus profonde. Cette participation intérieure est plus importante qu'une participation extérieure forcée qui met mal à l'aise beaucoup de fidèles. Nous avons notamment constaté que, spécialement chez les hommes, cet aspect devenait parfois si insupportable qu'ils préféraient cesser de pratiquer.

Pourtant, la liturgie traditionnelle ne se déroule pas toujours entièrement en silence !

Assurément, et c'est pourquoi il ne faut pas considérer l'attachement des fidèles au silence comme leur seule préoccupation. Ainsi leur désir de s'associer au saint mystère dans le recueillement et la méditation ne leur fait certes pas contester le bien-fondé des lectures ou du sermon ! C'est le bruit, c'est le brouhaha permanent, c'est leur difficulté, voire leur impossibilité de se recueillir et de profiter des célébrations liturgiques pour faire un retour sur eux-mêmes, pour rencontrer notre Seigneur, qu'ils rejettent avec force, notamment aux moments du canon et de la consécration.

Quels liens faites-vous entre le silence et la musique sacrée ?

Il est certain que la musique sacrée, tant le chant du propre que celui du kyriale, font partie intégrante de la liturgie traditionnelle. Cependant, les fidèles ne perçoivent pas cette musique sacrée comme un "bruit" qui viendrait perturber leur recueillement. Au contraire, avec la musique de l'orgue, elle favorise leur désir de piété et de silence intérieur en élevant leur âme au cours de la célébration des saints mystères. C'est pourquoi il nous faut bien distinguer la musique sacrée, qui apaise l'âme, des chants d'assemblée - souvent mal adaptés à la piété à laquelle aspirent de nombreux fidèles.

Quel est le second motif de l'attachement des fidèles à la liturgie traditionnelle ?

Le second caractère qui nous est apparu est celui de l'attachement des fidèles aux formes extérieures de l'adoration de la présence réelle. Parmi celles-ci, notons par exemple les génuflexions, l'agenouillement pendant la consécration, la communion à genoux et sur les lèvres, l'orientation de la célébration vers Dieu et non vers l'assemblée ...

Pourquoi cet attachement à des formes extérieures ?

Il faut tout d'abord rejeter l'idée, qui pourrait venir à l'esprit de quelques-uns, que cet attachement est purement mécanique, le fruit d'une habitude. La preuve en est que beaucoup de fidèles qui n'avaient pas vécu jusqu'alors leur foi au rythme de la liturgie traditionnelle sont venus à celle-ci justement parce qu'ils y trouvaient ces formes extérieures de piété qui n'étaient pas pour eux des habitudes, mais qui correspondaient pour eux à un réel besoin spirituel.

Quels liens établissez-vous entre des formes extérieures de dévotion et le besoin spirituel des fidèles ?

Il est clair que cet attachement à des formes externes de pratique et de dévotion ne peut se comprendre que comme un désir des fidèles de faire vivre la totalité de leur être au rythme de leur foi ; ils expriment leur conviction que la sainte messe est réellement le renouvellement du sacrifice de la Croix et que le Christ est réellement présent dans l'eucharistie. A partir de cette croyance, l'attachement aux formes extérieures de dévotion prend signification de prière, et la messe où se vit cette participation intégrale des fidèles en leur âme et en leur corps devient alors un authentique acte de foi.

Mais le chrétien ne doit-il pas savoir se détacher de ces éléments secondaires ?

Il est étrange qu'à une époque où l'on exalte tant le corps, où l'on feint de trouver dans le yoga ou le zen des vertus extraordinaires, l'on réprouve chez les fidèles catholiques le désir de faire participer leur corps aux élans de leur âme. Pour rester simple, n'oublions pas que l'homme a un corps et une âme et qu'il importe de faire communier ces deux facettes d'un même être à la vie spirituelle. Encore faut-il que ces gestes correspondent véritablement à une tradition et ne soient pas un simple placage factice, comme c'est le cas dans la pratique actuel du "baiser de paix" qui apparaît trop souvent comme tout à fait artificiel.

Vous insistez sur les formes gestuelles de la liturgie ; les formes verbales ont-elles été aussi l'objet de vos observations ?

Bien évidemment, nous avons constaté d'une manière fréquente, tant chez les anciens fidèles que chez les nouveaux, le rejet d'une familiarité jugée excessive, souvent caricaturale, qui n'appartient pas à notre tradition européenne. Parmi ces manisfestations, nous trouvons en première place l'utilisation du tutoiement qui, bien que mis en place "par la force" il y a plus de trente ans, paraît encore aujourd'hui à beaucoup comme tout à fait déplacé dans le dialogue public avec Dieu. Il est clair que le rejet de cette familiarité démagogique a fait beaucoup pour la désaffection des églises par les fidèles et leur adhésion à la liturgie traditionnelle qui avait su refuser ces innovations déplacées. Il faudrait encore citer le caractère familier et horizontal des relations entre les fidèles et le célébrant, ce dernier n'étant souvent considéré que comme un participant comme les autres ou un simple président d'honneur, alors qu'il représente le Christ lui-même.

Pourtant, cette familiarité et ce souhait de faire participer l'assemblée ne correspondent-ils aux attentes de notre époque ?

Cela est sans doute vrai dans le monde profane, mais il serait bon de s'interroger : les fidèles qui participent à la liturgie veulent-ils y retrouver les valeurs du monde extérieur ? Ne souhaitent-ils pas, plutôt, profiter de ces instants pour s'en extraire en s'élevant vers le Dieu transcendant ? Dans tous les cas, les conclusions de notre enquête sont très claires sur ce point. De nombreux fidèles ont quitté leur paroisse ou leur communauté, souvent même en arrêtant de pratiquer, pour ne plus se trouver dans des situations qu'ils jugeaient étranges, parfois même ridicules.

Bien évidemment, les fidèles qui sont particulièrement soucieux de fidélité à l'Eglise et à l'enseignement de Jésus-Christ ne peuvent qu'être désireux, lorsqu'ils assistent à la sainte liturgie, de la vivre en accord avec leur foi. Or, sous cet aspect, la liturgie traditionnelle offre un cadre particulièrement harmonieux, et c'est un argument supplémentaire pour beaucoup. Ils ont l'impression qu'aujourd'hui des vérités essentielles de la foi sur le péché, les anges, les saints, la conversion des païens, l'enfer... ne sont plus véhiculées par la liturgie. Comme si la foi avait changé !

Pouvez-vous préciser votre pensée ?

De nombreux fidèles depuis trente ans ont été profondément choqués d'assister à des offices qui utilisaient des ordo liturgiques fantaisistes et pas toujours bien inspirés ! Ou bien à des messes où l'on récitait des credos qui n'étaient pas ceux définis par l'Eglise - alors que l'on sait qu'au cours de l'histoire de l'Eglise les autorités eurent tant de mal à définir l'indéfinissable ! Si l'on ajoute à ce constat la lecture de textes bibliques traduits d'une manière choquante parce que trop actualisée, l'on comprendra que la messe traditionnelle, par son respect des usages anciens et son utilisation de la langue latine, a été depuis longtemps considérée comme un écrin magnifique et protecteur de la foi catholique, notamment en ce qui concerne le dogme de la présence réelle dans l'eucharistie.

Pour la première fois, vous évoquez l'usage de la langue latine par la liturgie traditionnelle...

Je ne regrette pas de n'évoquer cet aspect que maintenant. En effet, l'on a trop souvent considéré que les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle n'étaient motivés que par une sorte d'attachement nostalgique à la langue latine ; or il apparaît clairement que cela n'est pas le cas, et nous avons même rencontré des fidèles qui nous affirmaient avoir préféré assister (avant 1969) à la célébration de la liturgie traditionnelle en français, parce que celle-ci conservait, même en français, du fait de la qualité de la traduction d'alors, toutes les garanties de la liturgie traditionnelle, plutôt que d'assister à des messes nouvelles - lesquelles, bien qu'utilisant parfois quelques bribes de latin, n'en étaient pas moins des messes d'aspect très différent et ne correspondaient pas à l'attente spirituelle des fidèles dont nous évoquons les aspirations.

Néanmoins, les fidèles semblent attachés à la célébration en latin.

C'est exact ; mais ce sont surtout les journalistes qui parlent des "adeptes de la messe en latin". Les fidèles eux-mêmes insistent davantage sur leur attachement à la foi de leurs pères. Aussi est-il certain que beaucoup d'entre eux n'oublient pas que la liturgie traditionnelle en latin, telle qu'elle est définie dans le missel de 1962, reste un témoin toujours vivant de notre culture chrétienne, telle qu'elle s'est développée dans le monde occidental depuis de très nombreux siècles.

Mais n'est-ce pas là une attitude élitiste ?

Je ne le crois pas ; c'est bien plutôt le témoignage d'une attitude de piété filiale. En effet, au même titre que le Christ s'est incarné, chacun d'entre nous est issu d'une famille, d'une patrie et d'une culture dont il n'a pas nécessairement envie d'abandonner les richesses. Pourquoi ce choix serait-il plus scandaleux que celui des Zaïrois qui assistent au saint mystère selon un rite zaïrois enraciné dans leur propre culture ?

Mais le caractère latin de la liturgie traditionnelle n'est-il pas un obstacle pour la compréhension des fidèles ?

Votre remarque est un double faux problème. D'une part, parce que la liturgie n'est pas si complexe qu'un fidèle muni d'un missel ne puisse en comprendre aisément les principaux aspects. D'autre part, s'il semble important pour les fidèles - et cela se fait pratiquement partout - d'entendre les lectures en langue vernaculaire, il ne leur est pas toujours nécessaire d'entendre prononcer chacune des prières de la liturgie dans leur propre langue.

Mais les fidèles n'ont-ils pas le souci de comprendre les prières qui sont récitées par le célébrant ?

La question est plus complexe. En effet, les promoteurs de la liturgie en langue vernaculaire disaient avoir en priorité le souci d'une meilleure participation des fidèles et surtout de leur compréhension du sens des prières prononcées au cours de la messe; mais il nous faut nous interroger pour savoir si la demande des fidèles va effectivement dans cette direction. Au niveau de la participation, nous avons déjà vu que de nombreux catholiques étaient davantage attachés à une participation intérieure dans la prière et le recueillement qu'à une participation trop active qui dénaturerait la substance du saint sacrifice lui-même. L'usage systématique de prières traduites au cours des cérémonies peut leur apparaître comme tout aussi insatisfaisant. En effet, si l'objectif d'une traduction est de faire mieux comprendre, c'est que quelque part l'on est persuadé que tout est explicable. Or nous savons que, face aux mystères de la foi, cela n'est pas toujours exact. Aussi apparaît-il à de nombreux fidèles comme préférable de conserver l'usage de la langue latine dans la célébration des offices, justement parce qu'elle permet de conserver aux mystères la part incompressible qui est la sienne, et n'impose pas aux croyants des explications ou traductions qui ne sont qu'un appauvrissement d'une doctrine - qui est alors présentée d'une manière trop profane, trop humaine.

Je suis surpris qu'en plein XXe siècle l'on puisse s'exprimer ainsi.

C'est peut-être parce que notre XXe siècle est particulièrement orgueilleux et obtus. En effet, si l'on se tourne vers les grandes traditions religieuses toujours vivantes aujourd'hui, on s'aperçoit que presque toujours et partout les fidèles ont compris que les mystères religieux, n'étant pas du domaine de l'immédiatement intelligible, avaient besoin pour être exprimés d'utiliser des langues saintes ordinairement mortes comme garantie de la pérennité et de la sauvegarde des croyances, ce qui n'empêche pas d'ailleurs que les fidèles souhaitent ensuite fournir l'effort nécessaire pour s'approcher au plus près de ces mystères. C'est ce que nous trouvons chez les juifs, fidèles dans leur liturgie à l'hébreu ancien, c'est ce que nous trouvons chez les musulmans attachés au Coran, dont la langue est très éloignée de l'arabe parlé de nos jours ; l'on sait qu'aujourd'hui encore les textes sacrés de l'hindouisme sont conservés en sanskrit... Vous voyez donc que l'attitude des fidèles catholiques attachés à la latinité de la messe traditionnelle, même s'ils n'en comprennent pas immédiatement toute la signification, n'a rien d'extraordinaire : ils savent bien alors qu'ils participent à un mystère de foi qui les dépasse et dont ils ne peuvent qu'admirer la célébration. Ce serait plutôt le souci, auquel on assiste depuis trente ans au sein de l'Eglise catholique, de vulgariser et de déritualiser à outrance qui peut apparaître comme une "nouveauté originale" choquante pour beaucoup.

Revenons au caractère culturel, propre à l'Eglise latine, de la liturgie traditionnelle.

Cette volonté d'imposer la latinité ne nuit-elle pas à la catholicité de l'Eglise qui, plus que jamais, est aujourd'hui universelle ?

Tout d'abord, les fidèles ne veulent rien imposer du tout. C'est ce dont ils ont besoin pour eux-mêmes et leur famille qu'ils demandent. Ensuite, rappelons une nouvelle fois que l'unité voulue par l'Eglise n'a jamais été l'uniformité et que, de tout temps, tant en Orient qu'en Occident, l'Eglise a reconnu la légitimité d'une pluralité de formes liturgiques dès l'instant où celles-ci étaient conformes à la sainteté du mystère. Mais, ceci étant dit, à une époque où l'on parle quotidiennement de mondialisation, faut-il dénier toute valeur aux caractères qui pourraient renforcer l'universalité de l'Eglise ? Or, qu'est-ce qui, plus que le latin, peut fournir à l'Eglise un moyen simple et commode de proclamer son unité dans l'universalité, notamment lors des cérémonies liturgiques internationales ? Lorsque le pape entonne l'Ave Maria, ce sont tous les fidèles présents qui répondent immédiatement alors que, lorsqu'il s'exprime en langue vernaculaire dans la liturgie, seuls peuvent répondre en communion avec lui ceux qui maîtrisent ladite langue, à savoir seulement une fraction des fidèles.

Mais pourquoi défendre une langue incompréhensible pour la majorité des fidèles ?

Nous vivons véritablement en cette fin de XXe siècle une époque extraordinaire. Chaque jour l'on nous parle d'Europe, chaque jour l'on nous répète qu'il est nécessaire de maîtriser une ou deux langues étrangères qui nous sont souvent "bien étrangères" pour "réussir dans la vie" ; et lorsque des fidèles rappellent les vertus du latin comme langue universelle de l'Eglise, on les accuse d'être inadaptés au monde contemporain !

Mais le latin, à la différence de l'anglais par exemple, est une langue morte...

Mais c'est justement ce qui fait l'intérêt du latin ! En effet, comme toute langue morte, le latin est une langue qui n'évolue plus, donc une langue particulièrement apte à conserver sans les modifier les rites et les dogmes de notre Eglise. D'autre part, n'étant plus une langue vivante, il n'appartient désormais à aucun peuple en particulier et peut donc être considéré comme un patrimoine universel, commun à tous les croyants. A contrario, supposez que l'on opte pour l'anglais comme langue liturgique internationale de l'Eglise catholique : imaginez dès lors les rivalités qui se feraient jour entre les anglophones et les autres fidèles qui pourraient s'estimer lésés ou marginalisés. De plus, en tant que langue vivante utilisée en permanence par des centaines de millions d'hommes, l'anglais, comme pour la plupart des grandes langues vivantes d'ailleurs, est soumis quotidiennement à des torsions et des mutations qui le rendent chaque jour plus impropre à transmettre dans le temps et dans l'espace la doctrine éternelle du Christ.

Telles sont donc les principales motivations des fidèles qui choisissent la liturgie traditionnelle ?

Oui, sans aucun doute ; par leur attachement aux dogmes de la présence réelle, aux formes de piété et de dévotion qu'ils suscitent et aux rejets qu'ils provoquent, nous voyons assez clairement pourquoi certains catholiques sont restés fidèles à la messe de leurs pères, ou pourquoi de nombreux chrétiens s'associent de plus en plus à une liturgie qui privilégie la transcendance plutôt que la banalité et la médiocrité.

J'ai suivi votre développement ; mais ne croyez-vous pas que ces aspirations légitimes des fidèles ne pourraient se réaliser pleinement dans la célébration de l'ordo de Paul VI en latin ?

Constatons que, pratiquement nulle part dans le cadre paroissial, cette opportunité n'a été offerte aux fidèles et qu'au contraire nous connaissons de nombreux exemples, même très récents, où des prêtres célébrant l'ordo de Paul VI en latin se sont vus contraints de "rentrer dans le rang", c'est-à-dire d'abandonner la manière traditionnelle de célébrer la messe nouvelle. Aussi ne croyons-nous pas à l'opportunité de cette solution.

Ne pourrait-on néanmoins penser que la mise en place de célébrations de la liturgie de Paul VI selon la manière traditionnelle soit la solution pour l'avenir ?

Je ne le crois vraiment pas pour deux raisons : tout d'abord rappelons que la messe traditionnelle n'offre pas seulement un cadre et une atmosphère de piété, mais favorise aussi la participation, par l'utilisation des livres liturgiques, à toute une tradition qui, à défaut d'être celle de toujours, n'en reste pas moins notre tradition liturgique multiséculaire, celle qu'ont utilisée nos aïeux et les grands saints d'Europe depuis le Moyen-Age. Or, ceci n'est pas le cas pour l'ordo de Paul VI qui même célébré en latin n'en reste pas moins, comme nous l'avons vu précédemment, une "nouvelle liturgie"

Surtout, il est clair que toute action dans ce sens serait perçue par de nombreux fidèles comme la mise en oeuvre d'une nouvelle guerre liturgique, ce qui ne manquerait pas de raviver les plaies et les tensions et d'affaiblir tous les liens qui se renouent patiemment chaque jour entre les fidèles et leurs pasteurs. Enfin, il ne faut pas oublier qu'un grand nombre de fidèles attachés à la liturgie traditionnelle continuent encore aujourd'hui à se situer en réserve par rapport à la hiérarchie catholique. A ce sujet, l'on doit se poser une question : souhaite-t-on coûte que coûte le retour à la pleine unité ecclésiale, ou bien se réjouit-on de la disparition du sein de la communauté catholique d'une part de ses membres, que l'on préférerait voir sombrer du fait de leur exclusion par les pasteurs eux-mêmes dans un véritable schisme ? C'est pour ces raisons que nous ne croyons plus aujourd'hui au règlement du drame liturgique débuté à la fin des années 60 que par une application large et généreuse des solutions offertes depuis 1988 par le motu proprio Ecclesia Dei.

Quelle conclusion pensez-vous pouvoir tirer à l'issue de votre enquête?

Notre enquête démontre qu'en France la situation liturgique est loin d'être stabilisée, et que trop de fidèles subissent encore en le regrettant les effets d'une réforme qui leur est étrangère... au grand dam de l'Eglise qui détourne ainsi des âmes et des énergies du combat spirituel et missionnaire qui est plus que jamais le sien aujourd'hui, dans une Europe déchristianisée. Aussi doit-on s'interroger pour savoir si le temps n'est pas venu de mettre en pratique, dans un esprit d'authentique charité fraternelle, une liberté qui permettrait à tous les fidèles qui le souhaitent de vivre leur vie chrétienne au rythme de la liturgie traditionnelle, dans leur diocèse, en communion avec leur évêque.

(1) Lettre d'Oremus n°4 - Octobre 1997

 

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III. Que penser de l'appellation "liturgie traditionnelle" ?

Nous avons précédemment essayé de présenter les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle. Nous voudrions maintenant approfondir une question qui, depuis plusieurs années, fait l'objet d'un débat : comment, en effet, faut-il dénommer la liturgie à laquelle sont attachés les fidèles qui désirent continuer à suivre aujourd'hui la liturgie décrite dans le missel de 1962 ?

Depuis plusieurs années l'usage s'est largement répandu, notamment en France, de la dénommer "liturgie traditionnelle". Cependant, venant d'opinions très diverses, des voix se sont élevées pour contester le bien-fondé de cette appellation. Pour enrichir le débat, nous avons souhaité interroger Monsieur Marc Bouhier, vice-président de l'association Oremus, afin de connaître son point de vue sur cette question.

L'utilisation presque systématique de l'expression "liturgie traditionnelle" est assez récente ; pouvez-vous nous rappeler les appellations qui avaient été utilisées précédemment ?

Beaucoup de fidèles ne pensaient pas, même après le concile, que la liturgie serait modifiée d'une manière importante. Cette conviction était fondée par leur lecture de la constitution conciliaire sur la liturgie qui ne leur permettait pas de penser que l'on se trouverait bientôt en pleine "guerre liturgique". Aussi la surprise fut-elle très grande et les premières prises de position qui se sont exprimées chez les fidèles lors de la mise en place des étapes des réformes postconciliaires se sont-elles focalisées sur la question de l'usage ou de l'abandon de la langue latine. Ainsi, les fidèles qui refusèrent cette réforme sont apparus, et cela pendant longtemps, essentiellement comme les défenseurs "de la messe en latin". Il est à noter que les médias, qui n'ont jamais très bien saisis la nature des débats liturgiques, en sont souvent restés à cette analyse simpliste de la situation, et il n'est pas rare encore aujourd'hui de voir des articles de presse réduire les débats liturgiques au refus de l'usage du latin pour certains, et à sa défense par d'autres.

Les fidèles "traditionalistes" usèrent-ils de cette appellation de "messe en latin" ?

Même si très tôt se développa une abondante littérature faisant l'apologie de l'usage du latin dans la liturgie, les fidèles attachés à la liturgie antérieure aux réformes ne se considérèrent pas a priori comme des tenants du latin, bien que beaucoup d'entre eux aient vu dans la défense de cette langue, et tout particulièrement du chant grégorien, un moyen de conserver leur patrimoine liturgique. Parmi les documents qui furent produits par les militants de la première heure, c'est plutôt l'appelation de "messe de toujours" qui semble avoir été le plus fréquemment utilisée. Elle exprime bien, de la part de ceux qui l'employaient, le désir de résister à une prétendue "nouvelle messe" présentée trop souvent comme toute différente des formes liturgiques précédentes. Quand on se souvient de ce que furent certaines expériences liturgiques de la fin des années 60 et du début des années 70 où, sous couvert de nouvelles liturgies, l'on en venait trop souvent à faire n'importe quoi et notamment beaucoup de politique, l'on ne peut que comprendre la réaction de fidèles qui furent enclins à se regrouper autour de ce qu'ils considéraient être la "messe de toujours" c'est-à-dire le rempart indispensable à la défense de leur foi.

Mais la messe antérieure aux réformes postconciliaires était-elle la "messe de toujours" ?

Je pense que tous les défenseurs de "la messe de toujours" savaient que, même si elle avait des racines très anciennes, elle avait été codifiée au XVIe siècle par saint Pie V, à l'époque du concile de Trente - au moment où ce pape avait estimé que dans le contexte d'éclatements provoqués par la réforme protestante, la liturgie romaine avait besoin d'être restaurée. C'est pourquoi, bien vite, le nom qui fut donné à la liturgie ancienne fut plutôt celui de "messe de saint Pie V".

Mais la messe décrite dans le missel de 1962 était-elle véritablement celle de saint Pie V ?

L'on peut estimer que, de sa promulgation en 1570 jusqu'en 1969, c'est globalement le missel de saint Pie V qui est resté en usage dans l'Eglise latine. Cependant, nul n'ignore que ce missel avait connu, notamment au XXe siècle, quelques légères modifications qui n'avaient cependant modifié que fort peu le texte de 1570.

Est-ce le seul motif de cet attachement à l'appellation "messe de saint Pie V" ?

Je ne le pense pas, et je crois qu'il faut chercher ailleurs cette volonté très forte, chez les fidèles des années 70, de rattacher à saint Pie V la liturgie d'avant 1969. En effet, l'on doit se souvenir que, sinon en droit, du moins dans les faits, pratiquement du jour au lendemain le missel de 1962, modifié en 1965, s'est trouvé en quelque sorte proscrit. Dans ce contexte, l'un des seuls moyens qui restât aux fidèles, qu'ils fussent savants canonistes, théologiens éminents ou pieux laïcs, fut de s'attacher à la lettre des termes de la bulle Quo primum tempore édictée en préambule du missel de 1570 par saint Pie V, qui accordait à celui-ci un usage imprescriptible. Ce n'est pas mon souhait d'étudier ici la justesse de cette argumentation ou les réserves que l'on pourrait y apporter ; sachons seulement qu'elle se développa pour permettre à des prêtres et à des fidèles de continuer à vivre au rythme de l'ancienne liturgie tout en restant en communion avec l'Eglise.

Ces fidèles eurent-ils raison de développer cette argumentation ?

C'est une question extrêmement complexe sur laquelle je ne m'étendrai pas ici, car elle nécessiterait de longs développements. Cependant, il faut rappeler que la manière souvent très brutale et l'absence presque totale de pédagogie avec lesquelles furent appliquées les réformes, à partir de 1969, expliquent bien souvent les réactions vives qui furent alors celles de nombreux prêtres et fidèles.

Comment est né le concept de "messe traditionnelle" ?

L'indult promulgué en 1983, qui autorisait - il est vrai d'une manière rare et parcimonieuse - la célébration de la liturgie tridentine, a rendu caduc, pour une partie des fidèles, le besoin de rattacher la liturgie qu'ils appréciaient à saint Pie V, par le simple fait que l'indult lui-même reconnaissait la validité de cette liturgie et qu'elle n'était donc plus irrémédiablement proscrite ou interdite. C'est dans ce contexte que les fidèles en vinrent à parler de "liturgie traditionnelle".

Comment s'explique ce choix ?

Il ne s'explique que si l'on se souvient qu'à cette époque nombreux étaient les clercs qui, évoquant le nouvel Ordo de 1969, parlaient, dans un souci d'en imposer l'application, de la "messe du concile". Cette appellation n'était pas particulièrement heureuse, car la liturgie célébrée lors du concile fut, hormis quelques célébrations en rit oriental, la liturgie codifiée par le missel de 1570 ! Rappelons aussi que le désir parfois violent chez certains d'imposer la nouvelle liturgie confortait les défenseurs de l'ancienne dans leurs convictions que ces deux expressions étaient fondamentalement différentes. En effet, s'il ne s'était agi que d'une réforme semblable à celle entreprise par Pie XII, pourquoi était-il nécessaire de se montrer aussi violent, aussi peu charitable, aussi peu pastoral, à une époque qui était tellement attachée à ce concept ? L'on comprendra que, dans un tel contexte, les fidèles aient ressenti le besoin de trouver une appellation simple pour dénommer la liturgie d'avant les réformes ; c'est ainsi que s'est répandue l'appellation de "messe traditionnelle".

Comment fut reçue cette dénomination de "liturgie traditionnelle" ?

Un certain nombre d'ecclésiastiques proches ou éloignés de la "liturgie traditionnelle" ont émis des réserves quant à cette appellation. En effet, ils considéraient que dénommer la liturgie d'avant les réformes postconciliaires "liturgie tradionnelle", semblait impliquer que l'on considérait que la liturgie issue de la réforme postconciliaire n'était plus elle-même "traditionnelle", c'est-à-dire qu'elle était une nouvelle messe, au moins implicitement distincte, si ce n'est étrangère à la messe de toujours...

Que pourriez-vous répondre à cette objection ?

Cela est possible, mais qui en est responsable ? Nous devons rappeler que les défenseurs des réformes liturgiques ont toujours affirmé leur souhait de mettre en place des formes nouvelles, et qu'ils l'ont réalisé. Aussi est-ce du fait de leur propre initiative que le nouvel Ordo missae n'apparaît plus aux fidèles - et cela sans porter de jugement de valeur - comme aussi "traditionnel" que la liturgie d'avant les réformes. Citons, par exemple, les paroles du Père Gelineau, qui dans son étude Demain la liturgie, publiée en 1979, déclarait : "Que ceux qui ont encore connu et célébré comme moi la grand-messe chantée en latin et en grégorien se souviennent, s'ils le peuvent. Qu'ils lui comparent la messe actuelle d'après Vatican II. Non seulement les mots, les mélodies et certains gestes sont autres. En vérité, c'est une autre liturgie de la messe. Il faut le dire sans ambages : le rite romain tel que nous l'avons connu n'existe plus. Il est détruit." Une telle déclaration, de la part de l'un des principaux promoteurs de la réforme liturgique, confirme bien que dans le fond et sans polémique la liturgie "conforme au missel de 1962" est bien, au moins dans ses formes extérieures, plus proche de la tradition ancienne que la messe issue du nouvel Ordo missae de 1969, et que l'appellation de liturgie traditionnelle qui lui est donnée n'est donc pas inexacte.

Mais que s'est-il passé dans les faits ?

Il est vrai qu'aujourd'hui les liturgies issues de la réforme de 1969 ne forment pas un ensemble monolithique. Comment comparer en effet la messe célébrée à l'abbaye de Solesmes avec les liturgies célébrées dans la presque totalité des paroisses ? Cependant, dans les deux cas, même si l'esprit en est très différent, de nombreux éléments ont profondément évolué par rapport à la liturgie d'avant les réformes ; indiquons seulement la place de l'autel, les rites de distribution de la communion ou la systématisation des concélébrations... Tout cela nous démontre que la liturgie nouvelle n'est plus la "liturgie ancienne" mais bien, comme le dit le père Gélineau, "une autre liturgie".

Pensez-vous que l'on puisse trouver une autre appellation pour la liturgie traditionnelle ?

Je pense que ce sera très difficile. En effet, si l'on voulait revenir à l'expression "messe latine" ou "messe en latin", cela ne serait guère possible, car comment alors dénommer la messe de 1969 célébrée en latin dans de nombreuses abbayes et par certains prêtres ? L'appellation "messe classique" utilisée par le cardinal Raztinger ne semble pas pouvoir rencontrer de succès. En effet, en français, le mot "classique" a une petite connotation vieillote qui empêchera les fidèles de l'adopter. Quant au vocable de "liturgie ancienne", il est par trop péjoratif ou caricatural...

Comment voyez-vous la résolution de cette difficulté ?

La question est de savoir si les uns et les autres cherchent la paix ou la guerre. Si, comme je le souhaite et l'espère, la plupart aujourd'hui cherchent d'une manière authentique la paix et la réconciliation, je crois que cette difficulté se réglera vite. Ne pouvant pas trouver de solution parfaite, je pense que la "paix des braves" voudrait que les documents officiels continuent à parler du "missel de 1962" et que l'on laisse les fidèles employer l'appellation "liturgie traditionnelle" pour dénommer la liturgie développée par ce missel, tout en sachant que cette appellation ne correspond pas parfaitement à la réalité.

Mais n'est-ce pas un défaut typiquement français que de vouloir systématiquement et toujours définir parfaitement ce qui parfois ne peut l'être.

 

(Enquête tirée de la revue de l'association Oremus - 84, avenue Aristide Briand - 92120 Montrouge)

 

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